jeudi 28 décembre 2017

La mesure de la sénescence. La mort de la mort. Décembre 2017. N° 105.


Ma grande crainte est de mourir à la veille des plus grandes découvertes, ce serait vraiment con. Interview de Frédéric Beigbeder (52 ans) auteur du livre "Une vie sans fin", dans le magazine Tecnikart, décembre 2017.



Thème du mois: Y-a-t-il un thermomètre pour mesurer l'âge biologique ?


En un certain sens, le vieillissement commence dès avant la naissance. Autrefois, les chinois comptaient d'ailleurs l'âge, non depuis la naissance, mais depuis la conception. Quelques jours après la fécondation, les premières cellules commencent à se différencier et ne sont déjà plus "totipotentes" (capables de se transformer en n'importe quelle cellule).

Le premier indicateur du vieillissement, c'est donc bien évidemment l'âge. Omnes vulnerant, ultima necat (Toutes blessent, la dernière tue) était-il autrefois inscrit sur les horloges à propos des heures qui passent. Cependant, le vieillissement se déroule à un rythme fort différent selon les individus.

Dans le sens de diminution de capacités, le vieillissement commence bien tôt également. Un athlète atteint ses pleines capacités à un âge qui varie selon le sport, généralement inférieur à 25 ans. C'est plus jeune encore que le risque de décès est le plus faible. En France, seule 1 sur 10.000 des adolescentes et préadolescentes de 10 à 14 ans mourront au cours d'une année, alors que c'est "déjà" 2 sur 10.000 pour les jeunes femmes de 20 à 24 ans.

Cependant, le vieillissement responsable de la plupart des décès, lui, commence bien plus tard, à partir d'environ 50 ans. Il est marqué par des modifications physiologiques innombrables et parfois encore mal connues. Si nous pouvions suivre tous les biomarqueurs, tous les signaux physiologiques du vieillissement, il serait plus facile d'étudier la sénescence sur une courte période et donc l'analyse de résultats d'essais thérapeutiques pourrait être également se faire plus rapidement.

Marqueurs de capacité

L'avancée en âge de manière générale, c'est une diminution des capacités, une faiblesse de plus en plus importante, notamment pour :
  • la capacité pulmonaire - un centenaire qui souffle toutes ses bougies est en meilleure santé qu'un nonagénaire qui en est incapable;
  • la force de la poigne - un fort bon indicateur de l'espérance de vie restante chez les personnes âgées;
  • la capacité musculaire globale - la sarcopénie est une maladie courante chez les personnes âgées;
  • la masse osseuse et sa solidité - l'ostéoporose est également une maladie fréquente chez les personnes âgées;
  • la pression sanguine - l'augmentation de la pression sanguine systolique (lors de la contraction cardiaque) est un indice de mauvaise santé ("on a l'âge de ses artères”, disait-on autrefois);
  • la capacité d'équilibre moteur -  sa diminution peut indiquer que les capacités neuronales diminuent;
  • les acuités visuelle, auditive et gustative.

Apparence physique

Si l'habit ne fait pas le moine, l'apparence physique générale donne quand même des informations utiles. D'ailleurs, des applications logicielles sont déjà capables aujourd'hui de déterminer avec une certaine précision l'âge d'une personne à partir de photos. L'apparence physique comprend :
  • une moindre élasticité de la peau (dont les rides);
  • la décoloration et la diminution du système pileux (dont la calvitie);
  • la diminution de la taille qui est généralement de plusieurs centimètres; 
  • l'augmentation de l'indice de masse corporelle.
Marqueurs non génétiques

Notre corps est en renouvellement constant. Les cellules meurent et sont remplacées, nos ongles et nos cheveux poussent, notre peau se renouvelle constamment, chaque jour, nous absorbons des milliers de litres d'air, plusieurs kilos de solides et de liquides et nous rejetons à très peu de choses près la même quantité de matière. Mais ce recommencement sur des décennies se produit avec des changements progressifs de notre composition :
Marqueurs génétiques

Tout au long de la vie, la plupart de nos cellules se divisent. A chaque division, il se produit quelques modifications de l'ADN. L'ADN d'un individu âgé n'est donc plus celui de quand il était jeune. Ceci concerne :
  • la longueur des télomères;
  • des mutations dans les mitochondries;
  • d'autres mutations dans les cellules;
  • des mécanismes épigénétiques.
Autres marqueurs

En fait, quasiment tout ce qui est mesurable chez un être humain va se modifier au cours de l'existence et donc il ne peut être question de tout décrire ici. Des scientifiques cherchent à établir des listes de biomarqueurs portant sur certaines substances souvent très spécifiques qui ne seront pas abordées ici. Mais voici quelques autres indicateurs importants.
  • diminution du nombre de neurones et de la masse totale du cerveau;
  • augmentation de la quantité de collagène et détérioration de sa qualité;
  • moindres capacités digestives;
  • diminution (chez les hommes) ou disparition (chez les femmes) de la fertilité;
  • diminution de la capacité de cicatriser;
  • déficience de l’efficacité des cellules produisant les anticorps et tendance croissante de ces anticorps à s’attaquer non plus seulement aux agents pathogènes, mais aussi aux cellules propres de l’organisme.

Que faire de toutes ces informations mesurables ?


Il est utile de rappeler, même au personnel médical et même aux chercheurs, que le vieillissement est la première cause de mortalité humaine et qu’il touche l'ensemble de notre métabolisme, de manière irrémédiable mais à des rythmes variables.

Grâce aux moyens technologiques contemporains, réaliser des indices composites issus de ces marqueurs est un des moyens de mieux comprendre la sénescence. Utiliser des indicateurs multiples permet également de constater rapidement si des thérapies nouvelles ont un effet global positif (agissant sur toutes les dimensions métaboliques) ou seulement localisé.


La mauvaise nouvelle du mois: pour la deuxième année consécutive, l'espérance de vie décroît (légèrement) aux Etats-Unis



En 2016, pour la deuxième année consécutive, l'espérance de vie a diminué aux Etats-Unis. Il ne s'agit pas d'une diminution importante et elle serait due principalement à une cause spécifique, à savoir l'augmentation des décès par consommation de drogues. C'est néanmoins une mauvaise nouvelle.

Les Etats-Unis sont un des pays :
  • les plus riches du monde;
  • avec le plus de scientifiques au monde;
  • ayant les dépenses médicales les plus élevées;
  • et avec une espérance de vie déjà relativement peu élevée.
Malgré cela, les extraordinaires progrès technologiques de ces dernières années ne compensent plus les reculs suite aux comportements des citoyens de ce pays (obésité, prise de risques), particulièrement chez les hommes (l'espérance de vie des femmes a stagné à 81,1 ans, celle des hommes a diminué de 76.3 à 76.1 ans).

Pour l'Europe, les statistiques de 2016 ne sont pas encore toutes connues mais les statistiques de 2015 montraient également un déclin.

Le progrès de la longévité n’est pas plus une certitude que le progrès technologique ou que le  progrès social. Il dépendra de nos priorités, de nos investissements, de l'importance que nous donnons à la vie humaine et bien sûr de l'application aux citoyens des résultats des recherches médicales.



Pour en savoir plus :

mercredi 27 décembre 2017

Lettre ouverte à Frank Van Massenhove, président d'une des administrations les plus inaccessibles au monde (pour les personnes handicapées) (30 octobre 2017)

Bonjour Frank,
Comme tu le sais et comme relayé par la presse souvent en première page (RTBF, RTL, La Libre Belgique, De Standaard, Gazet van Antwerpen ...), une personne handicapée qui téléphone au 0800 987 99 (centre de contact des personnes handicapées) a 96 % de chance de ne pas recevoir de réponse (*). Ces personnes en souffrent, bien des agents de notre administration souffrent de leur souffrance. Comme, tu le sais, une personne handicapée qui s'adresse au service interne des plaintes de notre Service public fédéral a 99 % de chance de ne pas recevoir de réponse (**). Ces personnes souffrent, j'en fais des cauchemars de ne pas pouvoir les aider, je ne suis pas le seul. Et toi ? Comme tu le sais, une personne handicapée qui s'adresse à notre SPF a 100 % de chance de ne pas être traitée selon les règles élémentaires de respect et selon les règles légales (***). C'est immoral, illégal et sans équivalent dans toutes les administrations que j'ai rencontrées en 28 ans de carrière. Pour rappel et donner un ordre de grandeur des souffrances, aujourd'hui, plus de 100.000 personnes handicapées sont en attente d'une décision (pour une allocation, une carte de stationnement, ...).  Tu as dit dans la presse que quand quelque chose n'allait pas, il fallait le dire et que les gens étaient contents. Je t'obéis, mais franchement, je pense que les gens ne seront contents que quand les fonctionnaires que nous sommes garantiront un service à tous. Par tous, j'entends "même" les personnes handicapées. Je te tutoie puisque c'est la coutume que tu as amené dans notre administration. J'espère que tu répondras à cette lettre ouverte alors que tu n'as pas répondu une seule fois aux 9 courriels que je t'ai envoyés depuis un an et demi à ce sujet (ces 9 pages de texte sont à disposition). En effet, la situation est désastreuse depuis avril 2016 (elle était loin d'être parfaite avant). Tu as écrit récemment dans ton livre "Managers zijn niet nodig" que chacun pouvait venir te parler quoi qu'il se passe. N'as-tu pas oublié de préciser que tu ne réponds pas à tes collaborateurs quand les questions concernent l'aide aux personnes handicapées ? Tu as aussi écrit que presque tous les journalistes de Belgique avaient ton numéro de mobile. Accepterais-tu de fournir ce numéro aux personnes handicapées ? Toi et moi travaillons dans une entreprise que tu aimes bien définir comme unique. Et tu as raison, notre inaccessibilité est unique. Suite notamment à cela, le stress des agents s'occupant des personnes handicapées est également unique (et inique). Une enquête interne cette année établit que 36 % des travailleurs ont des sentiments de panique à cause du travail. Tu as dit un jour que tout est mesuré chez nous et cela permet de voir des évolutions. Tu as raison également, cela permet de savoir que la situation s'aggrave encore. Alors que "seulement" 31 % des travailleurs avaient un stress important en 2015, c'est devenu 49,7 % en 2017 ! Frank, soyons sans second degré maintenant. Je présume qu'au-delà de tes affirmations en faveur de la transparence, de l'ouverture, de la liberté, du fait qu'il faut dire ce qui ne va pas,, ... tu ne vas pas aimer cette lettre. Sans second degré toujours, je te propose néanmoins d'avoir la force et le courage de dépasser cela. Je te propose d'utiliser ton énergie médiatique remarquable non plus pour faire ta promotion et celle du SPF, mais pour résoudre les problèmes gigantesques qui se posent aux personnes handicapées en demandant fermement l'engagement de travailleurs et en ayant une organisation du travail avec des conséquences moins désastreuses que celles d'aujourd'hui. Je suis à ton entière disposition et surtout à la disposition des personnes handicapées pour permettre des progrès dans ce domaine. Didier Coeurnelle
Juriste, fonctionnaire d'information et conseiller stratégique communication au SPF Sécurité sociale
Hashtag : #RespectForDisabledPeople


(*) En un mois, plus de 200.000 appels téléphoniques, moins de 10.000 réponses (statistiques du SPF). Depuis un an et demi, j'ai personnellement eu des milliers de personnes en souffrance au téléphone et par courriel (et ne peut les aider car je ne peux transmettre les demandes et n'ai pas d'accès aux dossiers).

(**) En un an, plus de 400 plaintes transmises, 4 réponses.

(***) Délais légaux de réponse, obligation de mentionner la personne traitant un dossier et son numéro de téléphone, règles relatives à l'accessibilité, obligations d'informer...

Ce texte a été repris ou commenté dans la presse belge francophone (La Libre BelgiqueVers l'AvenirLa Dernière HeureRTL, RTBF, MétroLe VifBX1Alter EchosLe spécialisteGuide social, MSN) et néerlandophone (VRTDe MorgenKnackHet Laatste NieuwsHet Belang van Limburg).