jeudi 30 avril 2015

La mort de la mort. Lettre d'avril 2015. Numéro 73.

Robin Li (dirigeant de Baidu, Chine): Comment souhaitez-vous que l'on se souvienne de vous dans cent ans: Comme le fondateur de Microsoft ou comme un philanthrope? Bill Gates: Et bien, dans cent ans, j'espère être encore vivant ! Forum de Bo'ao, 29 mars 2015 (traduction).

Bill Maris (dirigeant de Google Ventures): Si vous me demandez aujourd'hui si c'est possible d'atteindre l'âge de 500 ans, la réponse est oui. Journal Bloomberg, 9 mars 2015 (traduction).

Thème du mois: Homéostasies, équilibres et cycles de vie


Nous ne savons pas avec certitude comment s'est créé la première entité, la première vie. Nous ignorons si cet évènement fut unique ou s'il y eut plusieurs êtres originels. A ce jour, nous ne sommes pas parvenus à reproduire cette création et, pour autant que nous sachions, aucune vie n'apparait plus par "génération spontanée". En vérité, nous ne savons même pas si la vie est apparue ici ou si elle fut importée d'ailleurs (théorie de la panspermie). Une conception religieuse est aussi possible, mais c'est un débat qui ne sera pas abordé ici.

Ce qui est raisonnablement certain, c'est qu'au commencement de la vie, il y eut, notamment la membrane. Une première frontière, d'une fragilité infinie, qui se créa entre l'interne et l'externe. Sans elle, avant elle, il n'y avait pas véritablement d'entité. Même le code génétique pourrait lui être postérieur.

Entre 3.500 et 3.800 millions d'années plus tard, les frontières se sont épaissies. Les quelques microns de matière, les assemblages fragiles de molécules qui permettaient une aube de séparation ont été complétés. Aujourd'hui, les milliers de milliards de cellules qui nous composent ont généralement conservé leur membrane. Et les êtres multicellulaires que nous sommes ont créé leurs propres frontières nous séparant de l'espace extérieur, frontières bien plus épaisses et bien plus complexes. La peau d'une personne adulte représente près de deux mètres carrés.

La séparation entre l'intérieur et l'extérieur est indispensable à la vie telle que nous la connaissons. Chaque seconde de l'existence d'une entité, un équilibre doit être conservé, c'est l'homéostasie. Plus l'être vivant est complexe, plus l'homéostasie comportera d'éléments: acidité, type d'ions, ensemble des composants chimiques, des fluides, température, échanges énergétiques,...

L'être vivant cellulaire, même le plus simple, procède pour cela constamment à des échanges avec le milieu extérieur, échanges qui ont pour effet de maintenir l'harmonie interne. C'est une différence fondamentale entre le vivant et l'inanimé. Le vivant s'entretient, se répare. L'inanimé, s'abime. Pour ce qui concerne tout objet complexe non vivant, qu'il soit naturel ou construit, du fait de l'écoulement du temps, l'usure finira toujours, progressivement, par le détruire. Tout appareillage, même très simple, finira par se gripper car rien ne permet l'auto-entretien. Par contre, l'usure puis la mort d'un organisme n'est pas nécessairement due à un mécanisme interne. Ce qui permet l'homéostasie permet théoriquement un équilibre sans fin.

A tous les niveaux de la vie, l'homéostasie, c'est la confrontation entre des mécanismes de dégradation, de dégénération et des processus de reconstitution, de régénération. 

La stabilité ne sera fondamentalement rompue que dans deux cas: la reproduction et la mort. La reproduction est indispensable au développement et à la propagation de la vie telle que nous la connaissons. Par contre, la mort, particulièrement la mort de vieillissement, n'est pas à proprement parler indispensable. La mort peut n'exister que comme conséquence indirecte de la reproduction, parce qu'une population d'êtres vivants si elle grandit finit toujours par épuiser les ressources. Mais cette mort ne vient pas nécessairement du simple écoulement du temps.

Nous savons peu de choses de la majorité de l'histoire de la vie car les êtres qui peuplaient le monde étaient de toute petite taille et de structure fragile. Il semble cependant que durant la majorité de cette histoire, durant les premiers milliards d'années, les êtres simples qui occupaient la planète ne mouraient pas de vieillesse. Placé dans des circonstances favorables, l'homéostasie était sans limite de temps. La cellule vivait "tranquillement" jusqu'à sa division.

Nous pourrions imaginer des êtres vivants complexes pour lesquels l'homéostasie serait également sans limite de temps. La sélection naturelle ne permet pas cet équilibre pour des raisons qui ont été expliquées dans la 
lettre d'information de juillet 2011. Ces mécanismes sont très probablement universels chez les vertébrés. Mais il n'est pas correct de dire que la vie est nécessairement un cycle de vie et de mort marqué par un espace donné de temps. Ce que la nature a permis pendant des milliards d'années à l'échelon cellulaire et ce que la nature permet pour certains végétaux (en tout cas pour des milliers d'années) pourrait être un jour permis à l'échelon d'un être humain en dynamisant des processus d'équilibre. En d'autres mots, le fait que l'être humain est biologique et non inanimé favorise sa longévité.


La nouvelle du mois : thérapie génique expérimentée sur des embryons humains

Lors d'une expérience réalisée en Chine, des embryons humains ont été modifiés génétiquement. Les embryons ont ensuite été détruits. Les modifications génétiques réalisées sont cependant relativement imprécises. Malgré les progrès technologiques et médicaux, il n'est pas encore possible de réaliser une modification en un lieu précis du génome qui soit un succès à chaque tentative. 

Cette progression est une bonne nouvelle car elle est un pas dans la connaissance pour des modifications génétiques à portée thérapeutique sur des êtres humains. Mais des questions éthiques multiples se posent. De plus, ce qui est le plus souhaitable en ce début du XXIe siècle, ce n'est pas tant de transformer les femmes et les hommes du futur, nos descendants, que de permettre autant que possible et dans un avenir le plus raisonnable possible, d'allonger la durée de vie en bonne santé des citoyens déjà nés qui le souhaitent.

Pour en savoir plus:

·    De manière générale, voir notamment:
heales.orgsens.org et longecity.org
·    Interview de Bill Gates www.youtube.com/watch?v=NG0ZjUfOBUs (13 m 40)
·    Homéostasie humaine: en.wikipedia.org/wiki/Human_homeostasis
·    Thérapie génique sur des embryons humains: www.nature.com/news/chinese-scientists-genetically-modify-human-embryos-1.17378
·    Source de l'image: 

mercredi 1 avril 2015

La mort de la mort. Lettre de mars 2015. Numéro 72.

Aujourd'hui, la vie commence à 70 ans. Trente années ont été ajoutées à notre espérance de vie en une génération. (...) Les investissements dans la recherche, la science et l'innovation que nous faisons maintenant, définiront le type de soins et les possibilités que nous nous-mêmes et les générations futures peuvent se permettre.

C'est pourquoi l'Union européenne a investi plus de 526 millions d'euros dans les recherches de santé relatives au vieillissement.
Carlos Moedas, Commissaire européen en charge de la Recherche, de la Science et de l'Innovation. 9 Mars 2015.

Thème du mois: Longévité, fragilité et mythe de Tithon

Lorsqu'ils abordent la lutte contre les maladies liées au vieillissement, les scientifiques décriront des recherches permettant une longévité accrue, une vie plus longue en bonne santé ou des processus de  réjuvénation.

Intuitivement, un citoyen non impliqué dans le domaine médical parlera plutôt de vieillir plus longtemps ou affirmera qu'il ne tient pas spécialement à vouloir dépérir ou se dégrader plus longtemps.

Ces descriptions expriment bien la profonde croyance de nombreuses personnes que vivre plus longtemps comprend nécessairement un processus peu agréable, souvent envisagé comme à peine meilleur voire pire que le vieillissement dit "naturel".

La mention de la dissociation entre longévité et santé est illustrée dès la mythologie grecque. Eos, déesse de l'Aurore, demande à Zeus de donner à Tithon, prince troyen d'une grande beauté l'immortalité. Mais Zeus omet de lui donner l'éternelle jeunesse. Tithon se dégrade donc alors inexorablement.

D'où vient cette conception très souvent entendue et pourtant incorrecte?

Le premier déterminant actuel de la fragilité pour les femmes et les hommes est l'écoulement du temps donc l'âge. Rien ne permet encore de renverser le processus de dégénération, nous ne pouvons que le ralentir. Il peut être logique de s'imaginer qu'une vie plus longue correspondra à une dégradation plus avancée.

Etant donné que les processus de dégénération sont aujourd'hui inévitables, nous avons tendance à considérer qu'une personne qui apparemment vieillit peu, se dégrade quand même, mais de manière moins visible. De plus, souvent un aspect de croyance morale est présent. Il est "équitable" que ceux qui vivent plus longtemps souffrent aussi et il est "mal" de vouloir échapper à la mort. Ce serait faire de la démesure, de "l'hybris". Ceci est donc "puni par la nature", par une poursuite de la décrépitude.

Notre vocabulaire n'envisage pas une avancée en âge d'êtres vivants sans dégradation. Vieillir, dans le langage commun, c'est s'endommager. Lorsque nous disons que quelqu'un ou quelque chose prend de l'âge, à de très rares exceptions près, nous pensons à des mécanismes de détérioration. Seul le mot "immortalité" a partiellement le sens envisagé de longévité sans dégradation. Cependant, le terme vise aussi le concept d'indestructibilité et il a de nombreuses implications religieuses et philosophiques. Il s'éloigne donc des aspects médicaux.

L'herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin. Elle tend aussi à toujours être plus verte dans nos souvenirs que dans notre réalité quotidienne. Ainsi, nous garderons de notre grand-mère aujourd'hui décédée un souvenir idéalisé. De plus, souvent nos parents et nos grands-parents tenaient à donner autant que possible d'eux-mêmes une image "fraiche et joyeuse".

Enfin, beaucoup estiment que des traitements médicaux nouveaux amènent à ce que des personnes âgées soient gardées en vie grâce à des méthodes trop techniques et artificielles qui sont responsables d'une moindre qualité de vie.

Mais vivre plus longtemps en bonne santé, c'est réellement gagner des années de vie de qualité.

Les études sur la durée de vie sont plus précises que celles sur la durée de vie en bonne santé. La presse relève souvent des évolutions à la baisse des indicateurs de vie en bonne santé, mais ne se fait que rarement l'écho des périodes de progression. Cependant, il apparait tout de même des statistiques que, globalement, la majorité des années de vie supplémentaires gagnées sont des années en bonne santé.

Pour certaines affections, l'état de santé va même s'améliorant par rapport à autrefois, sans que cela ait une grande influence sur la durée de vie. Dans ces cas, c'est donc plus de la qualité de vie qui est obtenue que de la quantité. Ainsi, il y a beaucoup moins de personnes se servant d'une canne ou atteintes de rhumatismes et de sciatique qu'auparavant, ce qui permet des années de mobilité accrue.

Les progrès technologiques, mais aussi sociaux, sanitaires et de gestion de la santé permettent des avancées considérables en matière de sécurité et de sentiment de sécurité. Les législations relatives à l'accompagnement des personnes âgées et les connaissances à ce sujet s'étendent. Le développement, complémentaire aux rapports humains, des applications mobiles et de la robotique est en train de permettre très rapidement un accompagnement automatisé de plus en plus performant et rassurant. Ces mécanismes de surveillance plus perfectionnés peuvent aussi être moins invasifs. Les personnes concernées (ou leurs familles) peuvent déterminer plus de paramètres (par exemple les périodes avec ou sans surveillance) et se sentir plus libres.

Pour aller plus loin

Il est cependant un domaine où, malgré des recherches non négligeables, la vie devient plus longue avec des gains de bien-être réduits, c'est celui des maladies neuro-dégénératives, particulièrement la maladie d'Alzheimer. Il faut faire remarquer que la majorité des victimes de ces maladies seront, presque jusqu'à leur mort, trop pauvres pour pouvoir recevoir une aide médicale, matérielle ou psychologique autre que familiale. Pour gagner des années de vie en meilleure santé partout dans le monde, des recherches fondamentales et appliquées plus intenses et plus nombreuses sont nécessaires. Il y va de la qualité de vie de millions de femmes et d'hommes âgés victimes de ces terribles affections.

Plus largement, la vieillesse, c'est, au sein de notre corps, un déséquilibre progressivement croissant entre mécanismes de réjuvénation et processus de dégénération. Les produits nouveaux, les thérapies géniques, les recherches en matière de mécanismes de réjuvénation, les nanotechnologies et d'autres champs médicaux que nous ne faisons encore qu'effleurer en 2015 nous permettent d'envisager de réduire ce déséquilibre, voire un jour de le renverser. Dans tous ces domaines, il s'agit beaucoup plus d'ajouter des années de vie en bonne santé que de prolonger une existence dégradée.


La nouvelle du mois : Google Ventures investit des centaines de millions de dollars en recherches pour la longévité


Bill Maris, dirigeant de Google Ventures a annoncé que sa société investirait 425 millions de dollars en 2015 pour financer des recherches de sociétés voulant ralentir ou renverser le vieillissement et donc augmenter l'espérance de vie.

Cette initiative s'ajoute aux autres projets de Google liés aux recherches en matière de longévité à savoir:
  • Google Calico, entreprise de recherche concernant le vieillissement qui a notamment engagé la célèbre chercheuse Cynthia Kenyon;
  • Google Genomics, plate-forme informatique de stockage, partage et traitement de séquençage ADN;
  • Baseline study, projet de séquençage de l'ADN de centaines de personnes pour déterminer ce qu'est le génome d'un être humain en bonne santé. 


Pour en savoir plus:

·    De manière générale, voir notamment:
heales.orgsens.org et longecity.org
·    Déclaration du commissaire européen Carlos Moedas (en anglais): ec.europa.eu/commission/2014-2019/moedas/announcements/life-begins-70_en
·    Lettre antérieure de mars 2014 sur un sujet proche; utopianchronicles.blogspot.be/2014_04_01_archive.html
·    Enquête du Lancet "Global Burden of disease": www.thelancet.com/themed/global-burden-of-disease
·    Autres projets de Google (en anglais): www.calicolabs.com, cloud.google.com/genomics/ et en.wikipedia.org/wiki/Baseline_Study
·    Source de l'image: