jeudi 31 juillet 2014

La mort de la mort. Lettre de juillet 2014. Numéro 64.

Leluis et Scipion, il faut résister à la vieillesse, s'évertuer pour en racheter les défauts et la combattre comme on fait de la maladie. Cicéron dans son Traité De senectute (de la vieillesse), faisant parler Caton, 44 avant Jésus-Christ. En latin: Resistendum, laeli et scipio, senectuti est; ejusque vitia diligentia compensanda sunt; pugnandum, tamquam contra morbum, sic contra senectutem.

Thème du mois: Souris vieillissantes, recherches rajeunissantes


Vous ne les verrez presque jamais. Vous les entendrez parfois. Elles vivent dans nos maisons, dans nos appartements et dans nos bureaux, généralement à moins d'un mètre d'un lieu où vous passez tous les jours, voire où vous dormez.

Nous sommes généralement indifférents à ces milliards de petits animaux si ce n'est pour les éliminer s'ils deviennent trop envahissants. Alors, nous utilisons de la "mort aux rats", sans guère nous préoccuper de leur mort, lente et douloureuse, par hémorragie interne.

En fait, nous ne nous préoccupons que des souris qui sont en captivité comme animaux de compagnie ou comme sujets d'expérimentation. Cette préoccupation est louable car le degré d'avancée d'une société se mesure notamment au degré de protection des êtres sans défense dont nous avons la garde. Mais la différence de traitement selon la proximité physique et psychologique est considérable.

De par le monde, il existe une catégorie de personnes qui cherchent à permettre une vie beaucoup plus longue pour certaines souris particulièrement protégées. Ce sont les chercheurs qui s'intéressent à la longévité. Ils expérimentent des produits, des régimes alimentaires, des exercices, des transfusions et bien d'autres méthodes encore. Dans leur travail, ils sont soumis â des règles très strictes d'attention voire de compassion pour les animaux. Parfois, ils s'attachent même à leurs sujets d'expérimentation. Cependant leur action n'est pas prioritairement destinée au bien-être des animaux, mais bien à celui d'autres êtres souvent faibles et presque sans défense, les personnes les plus âgées.

Il en va de souris de laboratoire comme des êtres humains de tous les terroirs. Le début de la vie est généralement sans grand souci de santé et ce n’est que plus tard que les symptômes de vieillissement apparaissent. Mais une différence fondamentale existe : chez les humains, "plus tard" se traduit par une grosse cinquantaine d'années alors que chez nos très lointains cousins muridés, par seulement d'une grosse cinquantaine de dizaines de jours.

Une souris de 18 mois commence à vieillir et c'est donc à partir de cet âge qu'il faudrait idéalement tester non seulement tout ce qui a une influence sur sa longévité, mais même tout ce qui a un impact sur sa santé. En effet, si nous pouvons faire des essais sur des souris plus faibles et en mesurer l'impact, nous pourrons un jour protéger et améliorer la vie des femmes et des hommes les plus faibles.

Cela se pratique peu encore aujourd'hui. Parce que les chercheurs  s'intéressent peu à la lutte contre le vieillissement, parce qu'il est plus simple de tester sur des animaux jeunes et en parfaite santé, mais aussi pour de simples raisons économiques. Même si une souris consomme très peu (un gramme de nourriture par jour), élever une souris jusqu'à l'âge de 18 mois signifie 15 mois de garde supplémentaire dans des conditions correctes avec un suivi quotidien par rapport à l'élevage de jeunes souris adultes.

Elever des souris pendant longtemps pour pouvoir tester dans des conditions ressemblant plus à ce qui nous menace comme humains est souhaitable. De plus, pour les souris jeunes comme pour les souris adultes, pour l'expérimentation, il est nécessaire de travailler en comparant les individus bénéficiant d'un traitement à ceux n'en bénéficiant pas et ceci dans des conditions de strict "(double) aveugle".

Cela signifie:

  • que les souris doivent être séparées en deux groupes (ou plus) dont au moins un groupe témoin, sans traitement spécifique;
  • que les personnes qui s'occupent des animaux ainsi que les personnes qui mesurent les résultats ignorent à quel groupe de souris ils ont affaire. Ceci pour diminuer le risque de fraude mais surtout pour diminuer le risque de traitement différencié fait par les chercheurs sans qu'ils s'en rendent compte. Même le meilleur chercheur du monde est inconsciemment influençable.
Dans certains cas, le double aveugle est impossible. Il faut alors veiller autant que possible à ce que les conditions soient quand même similaires et à ce que ceux qui soignent et mesurent les résultats ignorent le but de l'expérimentation. 

Enfin, les progrès technologiques permettent de plus en plus une automatisation de bien des procédures. Outre l'avantage économique, les risques d'erreur et de biais inconscients sont considérablement limités lorsque le traitement et la mesure sont effectués par des machines.

Les expériences qui pourraient être faites concernent notamment:

  • les produits, pharmaceutiques ou non, pour lesquels des spécialistes pensent qu'un effet positif est possible;
  • la thérapie génique;
  • l'injection de cellules souches;
  • l'alimentation;
  • des techniques diminuant l'impact de maladies neurologiques;
    les nouveaux produits testés dans le cadre REACH (aujourd'hui, seule la nocivité éventuelle est testé; il serait envisageable de tester aussi pour des effets positifs induits);
  • des "cocktails" de mesures, par exemple, injection de cellules souches et administration simultanée d'un produit.
Une fois ce type de test lancé, les résultats sont rapides. Les souris vivent rarement plus de 3 ans. L'efficacité d'un traitement peut donc être établie en 18 mois. Psychologiquement, le jour où une thérapie aura un impact considérable sur la longévité de la souris, beaucoup de citoyens pourront se dire et souhaiter que ce soit leur tour de vivre plus longtemps. C'est d'ailleurs notamment pour cela qu'une organisation britannique, la "Methuselah Foundation" dote d'un prix celui qui arrivera à établir un traitement permettant à une souris de vivre plus longtemps que toutes les autres souris de laboratoire avant elles.

Il faut cependant rester prudent. Des moyens peuvent être efficaces pour les souris et pas pour l'homme. Inversement, il peut y avoir des moyens inefficaces pour les souris ayant un impact positif sur l'homme qui risquent de passer inaperçus. Il reste que l'expérimentation sur des souris vieillissantes est un moyen économique, efficace, prometteur, relativement simple et facilement compréhensible pour promouvoir et accélérer les recherches en matière de longévité. Toutefois, d'autres recherches restent nécessaires pour être en mesure de donner aux personnes âgées du futur et même à certaines des personnes déjà âgées aujourd'hui une vie en bonne santé plus longue et plus heureuse.


Bonne nouvelle du mois: Un nouveau projet de Google,
"Baseline Study"


Google continue ses investissements dans le domaine de la compréhension de la physiologie des êtres humains et donc de la santé. Cette société va recueillir l'information génétique et moléculaire de 175 personnes (anonymes) en bonne santé pour pouvoir décrire aussi parfaitement que possible ce qu'est un être humain sans maladie. Pour ce faire, Google a notamment engagé Andrew Conrad, biologiste spécialiste des tests relatifs au Sida.

Des milliers d'autres personnes devraient être examinées après les 175 premières personnes. Cela devrait permettra de déterminer avec précision de multiples éléments génétiques et physiologiques qui contribuent à notre bonne ou mauvaise santé.

Ce projet intitulé "Baseline Study" est remarquable. Il reste à espérer que des institutions publiques emboitent le pas et/ou que les éléments utiles découverts soient mis à disposition de manière ouverte pour les chercheurs, le corps médical et l'ensemble des citoyens.



Pour en savoir plus:

samedi 5 juillet 2014

La mort de la mort. Lettre de juin 2014. Numéro 63.

Question du journaliste: Google et Apple se sont lancés, via Calico dans le soutien (...) de ce projet d'immortalité pour l'homme, de cet homme augmenté. Est-ce que pour vous cela signifie qu'on y va inévitablement ?

Alors, cela dépend à quelle échelle. Si c'est une échelle un petit peu plus lointaine, oui, très certainement. Ce qui est important de souligner, c'est l'imaginaire. Il y a une colonisation de l'imaginaire commun par cette quête de l'immortalité, très certainement. C'est-à-dire que chacun tout d'un coup en fait une question peut-être demain personnelle. Et on y met les moyens financiers et donc cela devient le grand marché, (…) le désir d'immortalité (…). Après, est-ce que nous allons à grands pas vers la démocratisation de cet accès à l'immortalité, là je crois que l'on peut encore être un peu plus calme sur cette arrivée. Cynthia Fleury (philosophe et membre du conseil national d'éthique français). Arte, juin 2014, répondant à Raphaël Hitier.

Thème du mois: la sarcopénie

Le vieillissement est un ensemble de modifications physiologiques successives et progressives qui touchent notre organisme.

Les conséquences externes (rides, perte de cheveux, modification du timbre de la voix, perte d'audition, réduction de l'acuité visuelle...) sont les plus facilement observables, mais c'est à l'intérieur du corps que les effets sont les plus profonds. Une des modifications physiologiques les plus impressionnantes concerne la proportion d'eau dans notre corps. Un bébé est composé d'environ 80 % d'eau, un adulte de 60 % et une personne âgée de 45 % seulement.

Le terme qui définit probablement le mieux le développement progressif des affections pour les personnes âgées, c'est le mot "fragilité". Cette fragilité globale accompagne la croissance avec l'âge des maladies cardiaques, des cancers et des maladies neurodégénératives qui sont les trois grandes catégories d'affection potentiellement les plus souvent létales pour les aînés.

Mais il y a également d'autres affections, moins souvent citées, parce qu'elles sont moins directement dangereuses et qui marquent cette fragilité croissante. La maladie la plus connue est l'ostéoporose, c'est-à-dire la diminution de la masse osseuse, accompagnée d'altérations physiologiques, qui fragilise les os, augmentant le risque de fracture. Cette maladie touche d'abord les femmes après la ménopause, mais peut également atteindre des hommes.

La sarcopénie est une affection qui se caractérise par la diminution de la masse musculaire. Elle se produit presque exclusivement chez des sujets âgés, entraînant d'abord une diminution de la force physique. Elle devient fortement invalidante et, aux stades aigus, elle peut accélérer, voire entraîner le décès.

Le terme sarcopénie est peu connu et utilisé depuis assez peu de temps. La diminution de la masse musculaire, souvent accompagnée d'un développement de l'obésité, est pourtant une difficulté de santé qui touche tous les citoyens âgés sans exception.

Certaines personnes culminent à un âge avancé pour des activités artistiques, scientifiques, politiques, sociales,... Par contre, l'universalité de l'affaiblissement musculaire explique que la puissance physique d'un individu ne reste jamais suffisante pour exercer des activités sportives à un haut niveau après l'âge de 50 ans. Les seules exceptions concernent des sports pour lesquels la force et la résistance physiques sont moins importants que l'habileté (équitation par exemple).

La presse s'est fait l'écho du record de vitesse cycliste établi par un centenaire, monsieur Robert Marchand. Il faut savoir que la distance parcourue en une heure par cet athlète n'est que de 26,9 kilomètres, un peu plus de la moitié du record de l'heure cycliste "classique" de 49,7 kilomètres.

La sarcopénie est importante. En effet, un des meilleurs prédicteurs de l'espérance de vie des personnes âgées est, tout simplement, leur force physique, par exemple la puissance avec laquelle ils peuvent empoigner un objet.

Il n'y a pas de moyen connu à ce jour d'interrompre totalement le processus de perte de masse musculaire. Par contre, ralentir le phénomène est possible par une bonne hygiène de vie comprenant de l'exercice physique régulier.

Pour envisager l'interruption totale de la sarcopénie, il est probable que c'est l'ensemble du mécanisme du vieillissement physiologique qui devra être maîtrisé. Se poser la question de la lutte contre cette affection, c'est en fait se poser la question de la lutte contre le vieillissement dans son ensemble. La réponse dépendra pour une part déterminante des investissements, de la volonté, de l'enthousiasme, de l'imagination et de la ténacité des chercheurs qui, chaque jour, explorent les pistes d'une vie en bonne santé plus longue, plus résiliente et plus épanouie.


Bonne nouvelle du mois: La Grande-Bretagne annonce une lutte accrue contre la maladie d'Alzheimer.

Nous avons besoin de rien de moins que d'une riposte tous azimuts contre la démence, avec nos meilleurs scientifiques dans l'environnement approprié pour développer de meilleurs traitements et, finalement, un remède a déclaré le Premier-Ministre britannique David Cameron le 19 juin 2014 lors du "Global Dementia Legacy Event" à Londres.

Le premier ministre s'est engagé à doubler les moyens financiers pour les recherches à ce sujet d'ici 2025.

S'attaquer à la maladie d'Alzheimer en soi, et pas seulement à ses conséquences, ce n'est pas encore s'attaquer au vieillissement en soi. Mais c'est déjà s'attaquer à la forme de vieillissement qui produit les effets les plus terrifiants pour les personnes âgées et pour les proches.


Pour en savoir plus